Academia.eduAcademia.edu
instrumentum39_maquette INSTRUMENTUM 19 11/06/14 09:47 Page37 également la découverte à Argentomagus (Indre) en 2013, de treize récipients rassemblés dans un grand chaudron, dans un espace clos - une datation au IIIe s. est avancée (source : http://www.inrap.fr/archeologiepreventive/Actualites ; consulté le 25 mars 2014). Pour la période du Bas-Empire, il faut évoquer les pièces de vaisselle provenant des tombes de Naintré (Vienne) (Simon-Hiernard 2012). (2) Le Cloirec 2001 dresse un état des données sur Corseul (Côte-d’Armor). (3) Le site du quartier Saint-Lupien est en cours de fouilles par une équipe pluridisciplinaire dans le cadre d’une coopération Ville de Rezé, Université de Nantes et Inrap. Au sujet de ce site, on peut consulter une présentation récente : R. Arthuis et al., Archéologie portuaire estuarienne entre Loire et Seine : principaux résultats et questions d’ordre méthodologique. L’exemple des sites antiques d’Aizier (Eure) et de Rezé (Loire-Atlantique). In : L. Hugot, L. Tranoy (éd.), Les structures portuaires de l’Arc atlantique dans l’Antiquité : bilan et perspectives de recherche. Actes de la journée d’études du 24 janvier 2008 à La Rochelle (Suppl. Aquitania 18), Bordeaux 2010, 61-82. (4) Fouilles Inrap 2009, us 6147. Mes remerciements à Yves Manniez pour cette information. (5) La vaisselle métallique est aussi représentée sur les sites aquitains par les pieds et supports de vases (seaux, casseroles et autres) ; par exemple, quatre de ces éléments sont attestés sur le site de la rue de la Marne à Poitiers (Vienne) dans des contextes allant du Ier au IIIe s. (étude I. Bertrand). Ces pièces détachées par excellence étaient vraisemblablement produites localement. Bibliographie : Archer 2010 : A. Archer, Étude de l’instrumentum du sanctuaire de Vieille-Cour à Mauves-sur-Loire. Synthèse et catalogue. Master 1 archéologie et histoire, Université de Rennes 2 Haute-Bretagne, année 2009-2010, 2 vol. Bertrand 2003 : I. Bertrand, Le petit mobilier du site de La Couture à Muron (Charente-Maritime, F), Bulletin Instrumentum 18, déc. 2003, 25-28. Bertrand 2009 : I. Bertrand, Mobilier en métal (alliage à base de cuivre, fer, plomb), os et verre. Rezé (44), Saint-Lupien - fouilles 2006-2008. Étude préliminaire. In : R. Arthuis, D. Guitton, M. Monteil, J. Mouchard, O. De Peretti (coord.), L’agglomération antique de Rezé (Loire-Atlantique). Le quartier Saint-Lupien. Fouille pro- grammée 2006-2008. Rapport final 2008, mars 2009, t. II – Études spécialisées, p. 2-9. Bertrand, à paraître : I. Bertrand, Mobiliers métalliques de la villa du Grand-Essart à Jard-sur-Mer. In : D. Séris (dir.), La villa du Grand-Essart à Jard-sur-Mer (Vendée). Boucher 2010 : T. Boucher, Attaches de suspension de bassin de type Argentomagus, Bulletin Instrumentum 31, juin 2010, 20-23. Boucher et al. 2010 : T. Boucher, S. Bigot, M. Barret, M. 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Comme souvent, cette expérience d’archéologie expérimentale nous a permis d’affiner les questions des uns et des autres, de mettre en évidence des aspects techniques et historiques insoupçonnés, et enfin de renouveler sensiblement la problématique sur cette catégorie d’objets (fig. 1). Cette note présente les réflexions communes des auteurs sur ces différents points. Fig. 1 — Reconstitutions de différents types de dés anciens, en os et en ivoire, C. Picod (Cliché : M. Feugère). 37 instrumentum39_maquette INSTRUMENTUM 19 11/06/14 09:47 Page38 Aspects techniques 1. Le matériau Un dé cubique peut être fabriqué dans bien des matières, qui doivent cependant être assez résistantes pour que l’objet ne soit pas endommagé trop vite. Les dés en terre cuite, ambre, albâtre ou plomb ne sont guère performants sous ce rapport, même si toutes ces matières ont été utilisées pour fabriquer de tels objets ; les matières plus dures, argent, pierres précieuses ..., sont certainement très résistantes mais coûteuses. Finalement, les matières dures animales, l’os, pour ne citer que celle qui est le plus fréquemment utilisée, offre un excellent compromis entre dureté, maniabilité et résistance aux chocs. Les dés en os sont débités dans des parties rectilignes des radius, tibias de bœuf et plus rarement métapodes. L’ivoire est utilisé plus exceptionnellement et a aussi été testé en expérimentation (1). Le bois de cerf a pu être sélectionné, mais il n’est pas facile d’y trouver une zone qui ne présente pas d’un côté une partie spongieuse, sauf à chercher de la matière dans la couronne ou sous la base, c’est-à-dire dans le pédicule, excroissance de l’os crânien ; le recours à cette partie osseuse permet d’obtenir un seul dé de c. 20 à 30 millimètres de côté. Les dés en bois de cerf sont assez courants au Moyen Âge, mais semblent rares à l’époque romaine (2). Parmi les mammifères disponibles dans l’Antiquité, le bœuf est l’animal dont les os offrent la plus grande épaisseur, mais le cheval, le cerf et quelques autres animaux ont également pu être sollicités (fig. 2). À l’expérimentation, la dureté des matériaux s’avère identique pour le débit, qu’on travaille de l’os, du bois de cerf ou de l’ivoire. L’utilisation d’os frais ou humidifié, quand il est sec et dégraissé, ne change pas vraiment les conditions de travail. Au contraire, il s’avère plus difficile de réaliser des cercles oculés fins et bien nets sur de l’os sec réhumidifié. En revanche, la réalisation des cercles oculés à l’archet a montré que la pénétrabilité de la matière varie pour un même os. En effet, l’os est constitué de “fibres” alignées dans le sens de la longueur, et de couches de croissance concentriques dans son épaisseur, un peu comme un arbre. Parallèlement aux fibres, “en bout”, l’os est très résistant, un peu moins sur les côtés. Le travail est nettement plus facile quand l’outil attaque l’os perpendiculairement aux cercles de croissance. À l’expérimentation, nous avons privilégié cette attaque pour réaliser les pointages et cercles oculés du chiffre 6. Par un examen minutieux des dés anciens, il serait Fig. 2 — Épaisseur de l’os disponible pour le tabletier dans une section d’os long de bœuf, d’un métapode de cheval et d’un métapode de bœuf (Cliché : C. Picod). intéressant de vérifier si les artisans antiques et médiévaux ont procédé de même. En ce qui concerne la taille des dés, deux stratégies ont donc été utilisées au cours du temps pour dépasser la limite naturelle de 15/20 mm : la technique des dés composites, que nous examinerons plus bas ; et celle des dés oblongs. En effet, si aucune des dimensions ne peut excéder 15 à 18 mm environ dans un dé cubique en os massif, le recours à une forme allongée permet d’obtenir des objets de taille bien supérieure, plus faciles à manipuler ; mais dans ce cas, la probabilité de tomber sur les six faces n’est plus égale selon la face considérée. Cette évidence, qui semblerait rédhibitoire à un joueur moderne, ne semble pas avoir rebuté les utilisateurs antiques. Dans les jeux contemporains, il est indispensable que le jet de dés donne accès à des chances égales de tomber sur les faces 1 à 6 ; dans les utilisations antiques de dés parallélépipédiques, ce n’était évidemment pas le cas. De fait, sur les dés parallélépipédiques de l’Âge du Fer (DEJ-3001) (3), il arrive assez souvent que les faces les plus étroites ne soient pas marquées. On se contente donc de scores de 3 à 6 (le plus souvent), résultat qui lui-même ne bénéficie pas des mêmes probabilités quand la section de l’objet est elle-même rectangulaire. La recherche d’une probabilité également répartie n’est donc pas le but recherché dans un certain nombre de dés antiques, ce qui conduit à s’interroger sur leur utilisation. Fig. 3 — Écouanne utilisée pour l’ajustage d’un cube ou le façonnage des formes complexes : ici, sur DEJ-9004 et -4002 (Cliché : C. Picod). 38 2. L’outillage L’outillage nécessaire à la fabrication de dés est assez réduit, ce qui ne signifie pas que le processus ne présente aucune difficulté ; il y a deux phases principales, le débitage et le marquage, plus un polissage final sans lequel un dé fraîchement taillé “roule” mal. Le polissage est souvent limité aux seuls sommets ou arrêtes. Le débitage Le débitage se fait à la scie et exige des parois rectilignes et bien parallèles, sans qu’aucune face naturelle de l’os ne vienne contrarier la régularité de l’objet. L’usage de deux scies est parfois visible sur les rebuts en os, l’une pour un débit grossier à partir de l’os lui-même, et une scie plus fine (largueur de voie de 0,8 mm souvent) pour le débit des dés proprement dits. Le parallélisme n’est pas toujours atteint et plusieurs dés anciens montrent qu’on n’a pas suffisamment resserré la coupe. Une reprise à l’écouanne s’avère alors nécessaire (fig. 3 et 4). Les dés “presque” cubiques peuvent s’expliquer, dans certains cas, par le rattrapage in extremis d’un défaut apparu sur une face, mais il faut toujours les distinguer des formes clairement parallélépipédiques : cette forme est considérée comme ayant été recherchée dès qu’une mensuration est inférieure de 25 %, environ, à l’une des autres dimensions du dé. Fig. 4 — Préparation et ajustage de différentes formes de dés (Cliché : C. Picod). instrumentum39_maquette INSTRUMENTUM 19 11/06/14 09:47 Page39 a a b b c c d Fig. 5 — a. marquage des dés à la drille, sur le Libro de los Juegos d’Alphonse X, entre 1251 et 1282 ; b et c. préparation, débitage et marquage de dés miniatures, DEJ-4016 (C. Picod). Le procédé de fabrication d’un dé cubique plein n’est avéré qu’au Moyen Âge, mais devait être identique à Rome et chez les Étrusques : le tabletier extrait d’abord de la paroi d’un os long, par exemple un métacarpe de bovidé, une baguette qu’il façonne jusqu’à obtenir une section carrée ; les dés seront ensuite marqués, puis débités un par un, tant que la section de la baguette le permet. Si le marquage est une phase délicate, le débitage ne demande donc qu’une scie et un minimum de précision (fig. 5). Un travail de surface est nécessaire pour effacer les traces de sciage. Différents outils peuvent être utilisés en fonction de la profondeur des traces à enlever : le ciseau type menuisier, le racloir, la lime et enfin l’écouanne que nous privilégions. Ce dernier outil est attesté à l’époque romaine (ébarbage du bronze, entre autres, et un exemplaire partiel est conservé au Musée de Bliesbruck Reinheim) et cité au Moyen Âge (Livre des métiers, Étienne Boileau, circa 1268). On a pu également utiliser des abrasifs, comme de la pouzzolane ; une étude tracéologique pourrait faciliter la détermination des divers outils utilisés pour ce travail de surface sur les dés en os. Le marquage C’est l’étape la plus complexe, sauf pour les points simples (comme ceux que portent nos dés modernes) : dans ce cas, un outil rotatif rudimentaire, qui peut être manipulé à la main, suffit. C’est le procédé retenu pour les dés gaulois parallélépipédiques. Mais, que ce soit chez les Étrusques ou à Rome, on préfère de beaucoup le cercle oculé, plus souvent double que simple. Un cercle oculé suppose l’emploi d’un procédé rotatif à vitesse lente, comme on peut en obtenir avec une drille, par exemple, équipée d’une mèche à 2 ou 3 pointes : celle qui est destiné au point de centrage doit nécessairement être la plus longue et parfaitement centrée sur l’axe de rotation. Elle est séparée de la pointe latérale, dans le cas d’un cercle oculé simple, par un trait qui ne peut pas être inférieur à la largeur de la scie, dans le cas où cet outil est employé. Pour obtenir une mèche à deux pointes, l’un des côtés de la mèche est rogné jusqu’à ce que le travail ait dégagé deux pointes asymétriques, toutes deux plus courtes que la mèche centrale. Afin d’éviter les vibrations d’une rotation désaxée, une pointe est disposée à droite, l’autre à gauche de la pointe centrale (fig. 6a). Pour obtenir des cercles très resserrés, on peut éventuellement rapprocher les pointes par un léger martelage (fig. 6b). L’expérimentation s’est heurtée à de nombreuses difficultés, qu’il serait fastidieux d’énumérer dans le détail. Si la fabrication de mèches pour les cercles oculés de grand diamètre ne pose pas de problème, il n’en va pas de même pour les petites mèches et surtout pour la plus petite utilisée. Nous avons choisi de la fabriquer dans un simple clou en fer. Les extrémités des pointes ne sont pas acérées, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, mais carrées (fig. 6a). Les dés romains montrent parfaitement ce profil plat dans la section des cercles oculés. Cette extrémité carrée agit comme un ciseau vertical ou bédane. Nos premières expérimentations avec un système tournant rapide ont échoué, jusqu’à ce que nous utilisions la drille à archet avec un mouvement d’aller et retour. Dans un sens la mèche en rotation coupe l’os et dans l’autre sens elle débourre les copeaux : de ce fait, la coupe des cercles oculés est nette et franche. Ce fut particulièrement visible avec notre plus petite mèche où nous avons pu réaliser un dé à cercles oculés sur une baguette d’ivoire de 6 mm de section. Quand nous n’avions pas de mèche pour faire deux cercles concentriques de diamètre conforme aux originaux, nous avons utilisé deux mèches de diamètre différents, mais les résultats ne sont pas conformes aux objets anciens : le positionnement de la seconde mèche au deuxième passage induit presque toujours des cercles non rigoureusement Fig. 6 — a. schéma et reconstitution d’une mèche à double pointe ; b. divers essais de marquage au simple cercle oculé ; c. schéma d’une mèche à triple pointe, pour double cercle oculé ; d. mèche asymétrique à 3 pointes, et dé à double cercle oculé (Dessins et clichés : C. Picod). concentriques. Il est clair que, sur les dés originaux une seule mèche a été utilisée quelque soit le nombre de cercles du marquage, nombre qui varie de 1 à 3. Une autre difficulté a été rencontrée sur les dés composites, que ce soit sur un métapode bouché ou sur des plaquettes assemblées. Les dés antiques montrent toujours un manque de matière dans les assemblages. Dans nos expérimentations, les assemblages ont été faits au plus juste, avec un comblement des interstices utilisant un mélange de colle et de poudre d’os. Cet enduit, même très sec, n’a pas été assez résistant pour empêcher la mèche de dévier au contact de ces jointures, ce qui donne des cercles oculés moins précis : or, ce n’est jamais le cas sur les dés antiques. Y avait-il un enduit plus solide ? De quelle nature ? Pourquoi, sur les dés à plaquettes, les artisans antiques ont-ils préféré un marquage à cheval sur cette jointure, alors qu’il y avait l’espace nécessaire pour réaliser le marquage sur l’os massif ? Comme on le voit, le marquage de cercles oculés apparaît souvent comme un fait banal et sans intérêt. Simple ? Sûrement pas, notre expérimentation en a montré les limites et ... les progrès qu’il nous reste à accomplir pour égaler le travail des artisans antiques. 3. Les formes de dés Qui s’intéresse aux dés découvre bien vite la variété morphologique insoupçonnée des objets décrits comme tels. Pour un homme moderne, un dé à jouer est forcément un objet cubique, mais il n’en a pas toujours été ainsi et certains jeux modernes, 39 instrumentum39_maquette INSTRUMENTUM 19 11/06/14 09:47 Page40 comme les “jeux de rôles”, redécouvrent les formes très variées que l’on peut leur affecter. Les premiers dés attestés en Mésopotamie n’ont pas six mais quatre faces, ce sont donc des tétraèdres (van der Heijt 2005, 84-85) : cette forme, lancée sur une surface plane, roule mal, et les côtés de ces dés ont donc été arrondis pour pallier cet inconvénient. On découvre bien vite (quelques siècles plus tard, tout de même) qu’en ajoutant deux faces, on ouvre les angles, et qu’on obtient de cette manière un objet plus fonctionnel, c’est-à-dire qui a autant de chances de tomber sur une face plutôt qu’une autre quand on le jette : le dé cubique est né. Si on veut toujours obtenir des côtés de surface égale, les formes à plus de 6 faces posent des problèmes de géométrie complexes, et resteront toujours marginales (DEJ4019, -4021, -4015). Cette construction est donc particulièrement complexe, comme l’a montré la reconstitution. 4. La construction des dés Sur la numération, on renverra d’abord à la très utile norme proposée par J.-C. Béal, ainsi qu’aux réflexions récentes de F. Poplin (2004, qui ne cite pas le précédent). La présentation la plus répandue, que François Poplin appelle le “dé classique”, est celle où la somme des faces opposées équivaut à 7. Elle présente elle-même plusieurs variantes, selon l’ordre dans lequel se présentent les faces marquées (Poplin 2004). Dans un dé massif, l’homogénéité du matériau est primordiale, aucune face ne pouvant comporter de lacune, ni même d’os spongieux. Avec un dé composite, on s’affranchit de cette contrainte en utilisant plusieurs pièces d’os compact. Une première solution, inventée en Étrurie, n’a guère survécu dans le temps. Elle consiste à fabriquer un dé cubique en assemblant de minces plaquettes carrées sur une âme (sans doute en bois) : solution laborieuse, qui exige une découpe précise et un collage sans défaut. Le dé ainsi obtenu peut être de taille importante, mais l’objet reste fragile. Un dé de ce type a été signalé à Chiusi, un autre (probablement en ivoire) est exposé au Museo Etrusco de Volterra (DEJ3004). Sur ces deux exemplaires, on voit que les ocelles ont été posées à l’extérieur de chaque face, c’est-à-dire, dans plusieurs cas, à cheval sur 2, voire sur 3 faces, ce qui accroît d’autant la difficulté (fig. 7). 5. Le marquage des dés Trois aspects sont à prendre en compte : l’aspect physique des points indiquant le marquage, la séquence de chiffres, et enfin l’ordre dans lequel apparaissent les indications chiffrées. Sur les dés modernes, le point est généralement indiqué par une cupule profonde, effectuée avec une mèche simple à pointe centrée et étroite. Sur les dés anciens, on préfère presque toujours un cercle oculé, simple ou double. Ces points sont obtenus à l’aide d’une mèche dans laquelle on a pratiqué deux encoches, ce qui dégage une pointe centrale et deux pointes latérales : ces dernières, en tournant autour de l’axe, vont creuser une couronne autour du point Sur la séquence de chiffres, le marquage de 1 à 6 est usuel sur les dés cubiques ; il ne faut cependant pas oublier que certains dés à numération différente, comme par exemple les dés de backgammon, inscrits 2, 4, 8, 16, 32 et 64, ne sont pas faits pour être jetés mais simplement pour afficher le coefficient de la mise initiale. Les dés ne portant que 4 faces marquées, ce qui est assez fréquent sur les exemplaires gaulois parallélépipédiques, n’ont donc pas nécessairement été utilisés pour déterminer le score d’un joueur. Aspects archéologiques Cette approche, que nous développerons peu ici, concerne tout d’abord les constatations liées à l’inventaire des types et à leur chronologie : dès le début de la période étrusque, on rencontre des dés pleins et creux, des dés cubiques et des dés parallélépipédiques (Lejeune 1981). Dans l’Antiquité romaine, seuls subsistent les dés cubiques, pleins ou creux ; puis au Moyen Âge, seulement les dés cubiques pleins. L’évolution chronologique s’accompagne donc d’un appauvrissement des formes de dés, et bien sûr des techniques utilisées pour leur fabrication. La rupture essentielle, ici, nous semble l’abandon des dés parallélépipédiques. Certes, on rencontre encore à l’époque romaine quelques dés atypiques, comme l’exemple “en forme de calisson” de Whelford (GB), daté entre le début du IIe et le début du IVe siècle (Miles 2007a, fig. 5.28, n° 40) (DEJ-4010), ou encore les dés losangiques, attestés à Boscoreale et à Naintré (DEJ-4013). Mais ces exceptions ne font que rendre plus évidente la généralisation des dés cubiques, c’est-à-dire liés à une activité où la probabilité de sortir une face ou l’autre doit absolument être égale entre les coups et entre les joueurs. Sous ce rapport, l’utilisation d’un dé creux modifie sensiblement la répartition des masses à l’intérieur du dé, et donc l’égalité des chances de sortir une face ou l’autre. Mais tous les dés creux sont de taille plus importante, donc facilement repérables, et les faces comportant un bouchon devaient rester visibles. De toutes façons, les deux joueurs utilisant les mêmes dés, le biais apporté au sort était le même pour tous, et aucun de ces dés n’a pu être considéré dans l’Antiquité comme un véritable “dé pipé” (DEJ3007, -4002). Catalogue Dés étrusques DEJ-3004 : copie d’un dé composite de Chiusi [SI] (IT),Tomba delle Pianacce, vers 325 av. n. ère ; 36 mm de côté (Minetti, Maccari 2010, 150, n° 32). L’assemblage de minces plaquettes, qui exige un collage précis, et surtout la pose de cercles oculés à cheval sur ces côtés assemblés, représentent une véritable gageure (fig. 7 et 8). DEJ-3008 : copie d’un dé étrusque trouvé à Lyon, rue des Tuileries, dans un niveau daté des années 520/480 av. n. ère (fig. 8), un modèle courant dans les nécropoles étrusques de Bologne (notamment Arnoaldi). Autre dé de Bologne, nécropole de la Certosa, tombe 317, fin Ve à début du IVe s. av. J.-C. (Bologna, Museo Civico Archeologico). a b Dé gaulois DEJ-3001 : copie d’un dé de Naintré, Les Fonds des Berthons (86), numéroté de 3 à 6, sans indication sur les faces étroites ; angles très émoussés, marquage en points simples (Bertrand, Maguer 2007, 244) (fig. 8). Cette forme gauloise très caractéristique est sans doute d’origine ancienne, si on en croit les deux dés provenant d’un niveau lyonnais (rue des Tuileries, us 5033), daté des années -520/-450 av. n. ère (Carrara, Maza 2009). Dés romains Fig. 7 — a. Dé étrusque constitué de minces plaquettes d’ivoire, collées sur une âme de bois : exemplaire de Chiusi, vers 325 av. n. ère (d’ap. Minuti, Maccari 2010) ; b. Restitution C. Picod, montrant les difficultés du collage sur les tranches des minces plaquettes, puis le marquage (Clichés : C. Picod et M. Feugère). 40 DEJ-4002 : dé creux, taillé ici dans la diaphyse d’un métapode de cheval (“os gris”) : l’irrigation particulière des os de chevaux rend les fibres de l’os, sur un os fraîchement travaillé, très apparentes (fig. 10). instrumentum39_maquette INSTRUMENTUM 19 11/06/14 09:47 Page41 Fig. 8 — Dés étrusques et gaulois illustrant la variété des modules entre les différentes formes de dés massifs ; le dé étrusque à plaquettes, copie de l’exemplaire de Chiusi, est publié comme un objet de 35 mm de côté (Cliché : M. Feugère). DEJ-4009 : dé cubique en ivoire, un matériau qui, malgré sa dureté, ne présente pas de difficulté de travail particulière. DEJ-4010 : forme originale, numérotée de 3 à 6 et très peu fonctionnelle : pratiquement aucune chance de sortir le 3 ou le 4, qui se trouvent sur les faces arrondies. Copie d’un dé provenant d’un niveau du début IIe au début IVe s. à Whelford, Claydon Pike (GB) (Miles 2007a, fig. 5.28, n° 40) (fig. 9). DEJ-4013 : autre forme originale, losangique et permettant donc une numérotation de 1 à 6, mais à peine moins fonctionnelle que la précédente (les seuls cas où les faces étroites peuvent sortir sont ceux d’un rebond sur une surface dure). Copie du dé de Boscoreale, conservé au British Museum (inv. GR 1912.0516.6) (fig. 9). DEJ-4007 : baguette allongée et légèrement renflée au centre, taillée ici dans un os de bœuf. Cette forme particulière permet d’associer le chiffre tiré à une direction, qui peut également jouer un rôle dans un jeu, ou dans un procédé de divination. Copie d’un dé non daté de Mainz, Linsenberg, conservé au Fig. 9 — Copie des formes originales de Claydon Pike (DEJ-4010) et de Boscoreale (DEJ4013) (C. Picod ; Cliché : M. Feugère). Rheinisches Landesmuseum de cette ville, inv. R 2318 (Mikler 1997, Taf. 20, n° 24). Des dés de ce type sont encore utilisés de nos jours en Inde et dans plusieurs régions asiatiques ; le profil bombé permet au dé de tourner sur lui-même, ouvrant la voie à une utilisation divinatoire. Dés médiévaux et modernes DEJ-9004 : curieux dé tubulaire à 6 faces concaves, copie d’un dé du Landesmuseum de Mainz (Mikler 1997, Taf. 20, n° 25), non daté, fabriqué ici en os de cheval (fibreux et gris). Le dé ayant été élaboré par un droitier, les cannelures sont légèrement déportées vers la gauche, à cause du mouvement naturel du bras au cours du processus d’abrasion. Ce dé ne semble pas avoir été utilisé tel quel, bien que ses angles arrondis lui permettent de rouler sur toutes ses faces avec une grande facilité. Monté sur un axe, il constituait sans doute le lest d’un détoupie, comme on en utilisait dans certains jeux de type “put-and-take”, inventés en Angleterre au XVIIIe siècle (van der Heijdt 2005, 116-117). De nombreuses variantes, y compris en métal, existent pour ces dés très particuliers. DEJ-9001 : deux petits dés médiévaux ; le manque d’espace et la faible taille des surfaces disponibles a causé des perforations quand deux chiffres nécessitent des pointages tout proches l’un de l’autre : les point du 4 et du 6 se rejoignent parfois ... Un tel accident peut expliquer la dégradation prononcée de certains dés, devenus inutilisables à la suite de lacunes sur ces angles. Michel Feugère michel.feugere@mom.fr Christophe Picod cpicod@orange.fr a Fig. 10 — a. Dé creux de Lyon, Musée Gallo-Romain de Fourvière ; b et c. Étapes de sa restitution (C. Picod ; Clichés : M. Feugère). Le dé creux est une création étrusque, attestée jusqu’au début du Ier s. de notre ère. a b c b Fig. 11 — Dé-toupie d’un jeu de type “put-and-take”, XVIIIe ou XIXe siècle : a. Au Landesmuseum de Mainz (d’ap. Mikler 1997) ; b. reconstitution C. Picod (Cliché : M. Feugère). 41 instrumentum39_maquette INSTRUMENTUM 19 11/06/14 09:47 Page42 Notes : (1) Peu de matière étant nécessaire, c’est bien sûr de l’ivoire ancien de récupération qui est utilisé dans l’expérimentation. (2) Un exemplaire au Musée de Fréjus (rens. I. RodetBelarbi). (3) Les références de type DEJ-xxx renvoient aux fiches d’Artefacts, consultées ici en juin 2014 artefacts.mom.fr/fr/home.php Bibliographie : Béal 1983 : J.-C. Béal, Catalogue des objets de tabletterie du Musée de la Civilisation Gallo-Romaine de Lyon (Centre d’Et. Rom. et Gallo-Rom., Lyon III, NS 1), Lyon 1983. Bertrand, Maguer 2007 : I. Bertrand, P. Maguer (dir.), De pierre et de terre. Les Gaulois entre Loire et Dordogne. Éd. A.P. C. (Mémoire XXX), Chauvigny 2007. Carrara, Maza 2009 : S. Carrara, G. Maza, Les antécédents de la colonie du VIe au Ier s. av. J.-C. In : Lyon Capitale de la Gaule romaine (dossier L’ArchéoThema, 1), mars-avril 2009, 7-10. Lejeune 1981 : M. Lejeune, Les six premiers numéraux étrusques, Revue des Études Latines 59, 1981, 6977. Mikler 1997 : H. Mikler, Die römischen Funde aus Bein im Landesmuseum Mainz (Monogr. Instrumentum 1), Montagnac 1997. Miles 2007 : D. Miles, S. Palmer, A. Smith, G. Perpetua Jones, The 2nd to 3rd Century AD Roman Complex (Phase 3). In : D. Miles, S. Palmer, A. Smith, G. Perpetua Jones, Iron Age and Roman settlement in the upper Thames valley. Excavations at Claydon Pike and other sites within the Cotswold Wazter Park (Oxford Arch.; Thames Valley Landscapes Monogr. 26), Oxford 2007, 93-167. Minetti, Maccari 2010 : A. Minetti, A. Maccari, Il corredo della Tomba delle Pianacce. Scavo 1954. In : A. Minetti, G. Paolucci, Grandi archeologici del Novecento. Ricerche tra Preistoria e Medioevo nell’agro Chiusino. Chiusi 2010, 140-151. Poplin 2004 : F. Poplin, Numération et orientation des dés antiques et médiévaux, Bull. Soc. Nat. Ant. France 2004, 51-65. Van der Heijt 2005 : L. van der Heijdt, Face to face with dice, 5000 years of dice and dicing. Groningen (Gopher publishers), 2005. Des agrafes à double crochet à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne A. A. Berthon L’agrafe à double crochet est un accessoire vestimentaire et de parure en forme de barre, plus ou moins longue, plus ou moins ornée, dont les deux extrémités sont recourbées en forme de crochet. L’agrafe sert à rassembler deux pans de vêtement et en cela, elle se rapproche des fibules antiques ou des fermaux médiévaux. Ce terme général recouvre donc un type d’objet et non un artefact bien défini dans une chrono-typologie. Le plus souvent, une agrafe à double crochet désigne les accessoires carolingiens, très utilisés entre la fin du VIIe siècle et le XIe siècle, généralement dans l’espace français actuel. En alliage cuivreux ou en fer, ces agrafes de formes variées sont toutefois monoblocs, avec un corps perforé plus ou moins épais. 42 Mais l’utilisation des agrafes vestimentaires fut également en vogue entre le XIVe et le XVIe siècle. Méconnus, ces artefacts sont souvent confondus avec des objets plus anciens, comme le montre par exemple l’erreur d’interprétation de F. Stutz dans sa thèse : une agrafe à corps méplat à trois torsades est rangée parmi les agrafes du haut Moyen Âge de type isolé (Stutz 2003, vol. 2, 429, pl. 71/1019), et pour cause, cette agrafe est datable de l’extrême fin du Moyen Âge ou du début de l’époque moderne. Déjà en 1916, C. Enlart remarquait ces fréquentes erreurs : “à ce type appartiennent des objets vulgaires du XVe siècle souvent trouvés dans les fouilles (...), que beaucoup de musées s’obstinent à classer comme galloromains” (Enlart 1916, 244). Cet article se propose de faire le point sur les types d’agrafes connus à cette période, afin de mieux les distinguer des précédents carolingiens. La majorité des objets décrits appartient à des contextes bien cernés chronologiquement. Nous procèderons par une description des types connus et aborderons également quelques cas problématiques. Sauf mention contraire, tous les exemplaires sont en alliage cuivreux. La diversité des types d’agrafes est relative avec deux grandes catégories d’agrafes. Il existe d’un côté des agrafes simples et monoblocs et, de l’autre, des agrafes composites à deux ou quatre crochets complétés de fils enroulés et parfois de perles. Les possibilités de décor sont multiples, mais certains types semblent beaucoup plus utilisés que d’autres. On note ainsi le succès des agrafes à corps méplat torsadé et des agrafes composites avec un corps large complété par des fils recourbés aux angles. Ces objets sont par ailleurs diffusés dans un vaste espace, puisqu’un même type d’agrafe peut aussi bien être utilisé dans le Sud-Ouest de la France et en Belgique (agrafes à corps méplat et trois torsades), qu’en Alsace et en Angleterre (agrafe dont le corps est complété par deux tiges dont les extrémités sont recourbées vers l’extérieur, formant quatre volutes). vêtement. Mais les sources iconographiques nous invitent aussi à considérer leur relation avec les ceintures richement décorées de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne, où sont suspendus divers accessoires, de l’aumônière au fourreau d’épée. Ainsi, le portrait de Robert Dudley, premier comte de Leicester (anonyme, huile sur toile, National Portrait Gallery, Londres, fig. 1), peint vers 1575, montre qu’une agrafe faisait la jonction entre la boucle de ceinture et la bride de suspension de l’épée. Chaque agrafe était ainsi positionnée dans la bélière de l’anneau et dans un œillet de la bride. Des objets contemporains, assez similaires, peuvent être confondus avec ces agrafes. Nous devons écarter les pendants de ceinture, sorte de crochet suspendu et riveté sur une bride, d’où pendent des accessoires vestimentaires. Dans ce cas précis, les extrémités ne sont jamais effilées, contrairement aux agrafes (Berthon 2013, 91-92 ; Egan, Pritchard 1991, 219-224). Une autre sorte d’agrafe, cette fois aux pointes effilées mais anguleuses, aux dimensions similaires, est identifiée en Angleterre comme un accessoire textile. Il est dénommé “harbick”, “shear-board hook” ou “havette”. Ce dernier terme est proche de l’ancien français havet, désignant un crochet selon le Dictionnaire de l’ancien français d’A. J. Greimas (éditions Larousse, 1979, rééd. 1992). Malheureusement, il ne semble pas exister d’équivalent français pour un tel accessoire. D’après les auteurs, il s’agit de crochets de tailleur ou de fourreur servant à maintenir des pièces de tissus ou des peaux sur le plan de travail, lors de l’étape de la découpe ou de l’égalisation des poils de la toison. Ils seraient donc des vestiges d’une activité textile professionnelle. Ces découvertes semblent toutefois limitées à l’Angleterre dans l’état actuel des connaissances (Goodall et al. 1984, 344-345, fig. 193/177 ; Goodall, Keene 1990, 239-240). Ainsi, ces accessoires de type agrafe à double crochet (voire à quadruple crochet) paraissent-ils avoir été largement diffusés dans l’Ouest de l’Europe. Si un usage régulier semble en avoir été fait surtout aux XVe et XVIe siècles, quelques exemplaires sont parfois datés du XIVe siècle (Brandes-en-Oisans, agrafe n° 35) ou du début du XVIIe siècle (Amsterdam, Baart 1977, 154) avec, cependant, quelques incertitudes. Toutefois, la récurrence et la constance morphologique de ces artefacts plaident pour une phase de production relativement “courte” et homogène. Par ailleurs, la facture simple de la plupart d’entre eux en fait des objets communs, déjà qualifiés avec raison de “vulgaires” par Camille Enlart au début du XXe siècle. Plusieurs détails les distinguent des agrafes carolingiennes. Les dimensions sont d’abord plus importantes, avec des longueurs dépassant fréquemment les 50 mm, voire les 80 mm, alors que les exemplaires plus anciens mesurent généralement entre 20 et 40 mm de long. Les motifs sont très particuliers et ne peuvent être confondus : alors que les agrafes carolingiennes adoptent souvent des corps monoblocs moulés, épais, moulurés ou poinçonnés, et perforés, les agrafes des XVe-XVIe siècles sont plus simples (corps plat à peine travaillé) ou composites, régulièrement complétées par des fils aux motifs plus ou moins complexes. Certaines sont très ouvragées (fig. 4, agrafe de Londres, n° 34), mais dans l’ensemble, ces pièces sont de facture moyenne. Agrafes monoblocs (fig. 2 et 3) Si l’usage vestimentaire des agrafes est supposé, leur emplacement sur le costume est encore mal défini. Comme pour les exemplaires carolingiens, elles pouvaient servir à attacher deux pans de 1 : La Rochelle, 14-16 rue Delayant, XVIe-XVIIe s., L. 85 mm, la section est circulaire (Berthon 2013, 71, objet 99). Agrafes longilignes simples 2 : Paris, monastère de l’Ave Maria, début de l’époque moderne, L. 60 mm (Bouëtiez de Kerorguen 1996, 163, fig. 6, non figuré). 3 : Londres, “wire double hook”, première moitié du XVIe s., L. 44 mm, la section est circulaire (Egan 2005, 47, fig. 29/171). 4 : York, 46-54 Fishergate, “double hook fastener”, vers 1540, L. 34 mm, corps étroit aplati (Ottaway, Rogers 2002, 2921, fig. 1491/15222). 5 : Douai, XVe-XVIe s., L. 40 mm, variante avec deux perles en verre (Demolon 1999, 25, objet 64). Fig. 1 — National Portrait Gallery, Londres : huile sur toile, Anonyme.